Par Jean-Paul Queinnec | Publié le 01/04/2012
Le théâtre au Québec a subi une véritable transformation ces dernières années, notamment en ce qui concerne le rôle de l’auteur-e dramatique. Le texte, autrefois le centre de la création théâtrale, ne suffit plus à lui seul pour faire vivre une œuvre. Aujourd’hui, la frontière entre l’écriture du texte et l’écriture scénique se floute de plus en plus, et l’auteur-e se trouve dans une position nouvelle où il/elle touche à la scène au-delà de la simple production littéraire.
La convergence entre texte et scène
Le temps où le texte servait de base exclusive à la scène est révolu. L’auteur-e devient co-créateur-trice d’un projet théâtral, travaillant en étroite collaboration avec les autres concepteurs : metteurs en scène, comédiens, scénographes, etc. L’écriture se fait désormais dans une dynamique de groupe, où la scène et le texte s’alimentent mutuellement. Cela marque un tournant pour l’auteur-e dramatique, qui n’est plus un simple “créateur isolé” mais un membre d’une équipe collective.
Le théâtre québécois, à travers cette évolution, a vu apparaître de nouvelles formes de dramaturgie, plus participatives, où le texte n’est qu’une des composantes. L’auteur-e se transforme, il/elle devient un acteur de la scène, son écriture s’inscrit dans une dynamique corporelle et sensible. Christian Lapointe en est un exemple frappant, avec une approche où les mots projetés en direct sur scène deviennent une expérience tactile, une forme de textualisation performative.
Le texte comme matière vive
L’auteur-e contemporain-e, à l’instar de Marie Brassard ou Olivier Choinière, pousse encore plus loin cette exploration du texte. Dans des œuvres comme Chante avec moi (2010) de Choinière, le texte devient une performance à part entière, une matière en constante évolution qui se confronte à l’espace réel et aux actions des comédiens. La performance rivalise désormais avec le discours : ce qui se joue sur scène n’est plus uniquement ce qui est dit, mais aussi ce qui est fait, vivant, ressenti.
Le théâtre ne se limite plus à une simple lecture du texte ; il devient une expérience immersive où chaque élément de la scène participe à l’expression de l’œuvre. L’auteur-e n’écrit plus seulement pour des acteurs qui joueront un texte, il/elle écrit pour un ensemble vivant, une rencontre entre des corps, des sons, des images.
Le Québec : un terreau fertile pour cette évolution
Au Québec, cette évolution du rôle de l’auteur-e s’accompagne également d’une expérimentation sonore et visuelle. Le projet Dragage (édité chez Quartett) est un parfait exemple de cette nouvelle approche : une œuvre collaborative qui mêle textes, sons, et médias externes pour déconstruire la tradition du théâtre classique. L’écriture ne se cantonne plus à une page, elle devient un processus tangible, un objet sonore, une performativité qui va au-delà de la simple signification linguistique.
Les scènes ouvertes, où la multitude de voix et de langages se rencontrent, font partie d’un mouvement d’hybridation et d’hétérolinguisme propre au Québec, un espace fertile pour l’exploration de nouvelles formes de dramaturgie. Ce contexte unique, entre francophonie et diversité culturelle, permet à l’auteur-e scénique de repousser des limites traditionnelles et de proposer des créations audacieuses et engagées.
Conclusion : l’auteur-e, créateur-trice d’un tout vivant
Ainsi, l’auteur-e dramatique au Québec ne se contente plus d’écrire un texte, mais devient un acteur essentiel d’un processus collectif, où l’écriture scénique et la performance s’entrelacent pour donner naissance à des œuvres inédites. Le texte, émancipé de son rôle central, se redéfinit, s’adapte, se transforme dans un mouvement permanent, où l’auteur-e devient autant créateur-trice d’histoires que concepteur-trice d’expériences théâtrales.
Dans ce monde en constante évolution, il est évident que l’écriture théâtrale, au Québec, n’est plus seulement une question de mots : c’est une rencontre vivante, un espace de création fluide et vibrante, où l’auteur-e, le texte, et la scène se nourrissent mutuellement pour créer du sens, du vécu, et du théâtre.