Par Alexandra Lazarescou | paru le 06/06/2013
L’Imperatif théâtral à l’ère de la désillusion
Quelle est cette “Nécessité”, au sens de Joyce, qui relie notre société déshumanisée, fragmentée et désenchantée à un impératif théâtral ? Dans un monde éclaté, où l’individualisme prend le dessus, quel rôle le théâtre peut-il jouer pour reconstruire du sens et de l’espoir ? Notre génération, marquée par le déclin du modèle communiste, entame une réflexion profonde sur les conséquences identitaires de ce changement pour l’Europe contemporaine. Loin de rester passifs face à cette évolution, nous, jeunes auteurs, tentons de sonder nos racines et de mieux imaginer les possibles.
Nous sommes ouverts sur l’Europe et ses défis, interrogeant notre passé pour imaginer un avenir commun. Focalisés sur l’effondrement du communisme et ses impacts, nous cherchons à extraire l’espoir de ce qui semble brisé. À travers un langage minoritaire, nous tentons de faire entendre les questionnements d’une génération en quête de “vivre ensemble”, à une époque où les idéologies semblent s’effondrer face aux luttes pour le pouvoir.
L’Engagement politique et social des auteurs contemporains
Les jeunes auteurs et metteurs en scène roumains et moldaves ne se contentent pas de raconter : ils dissèquent l’Histoire au scalpel, mettant au jour les éléments oubliés ou manipulés. Des pièces telles que 20/20 de Gianina Carbunariu et Capete infierbantate (Têtes Brûlées) de Mihaela Michailov plongent dans les événements marquants de l’histoire récente, et explorent les résonnances qui perdurent dans la société contemporaine.
- 20/20 examine les événements tragiques de mars 1990 à Tirgu Mures, où un conflit ethnique entre Roumains et Hongrois a causé cinq morts et plus de deux cents blessés.
- Capete infierbantate revient sur les « Minériades » de juin 1990 à Bucarest, où les mineurs ont été manipulés pour réprimer les opposants politiques, six mois après la chute du régime communiste.
- Antidote de Nicoleta Esinencu explore la paranoïa collective nourrie par la désinformation, en retraçant l’histoire du gaz et du nucléaire, de l’horreur de l’Holocauste à Tchernobyl, en passant par la Guerre Froide.
Ces œuvres interrogent les mécanismes de manipulation et la construction de la peur dans nos sociétés, tout en dépeignant les ravages du racisme et du nationalisme.
Le théâtre comme outil de résistance sociale
Les auteurs de cette génération, dans une démarche activiste, investissent également des scènes alternatives et des espaces publics pour aborder des problématiques sociales urgentes, comme l’expulsion, l’expatriation, le racisme et l’homophobie. Bogdan Georgescu, avec Fara sprijin (Sans soutien), met en lumière les expériences des personnes expulsées, tandis que Vera Ion s’intéresse à des récits plus intimes avec Ich Clown et Refuz sa cresc (Je refuse de grandir), inspirés de son propre voyage à Londres et de son travail de clown.
L’exemple de Rosia Montana : un combat pour l’environnement et les droits locaux
Stefan Peca, avec Rosia Montana – pe linie fizica si pe linie politica (Rosia Montana, une perspective physique et politique), met en lumière le projet d’exploitation minière à Rosia Montana, l’un des plus grands gisements d’or et d’argent en Roumanie. La pièce dénonce l’impact environnemental dévastateur de l’extraction à ciel ouvert et l’effacement des patrimoines locaux au profit de grandes entreprises, tout en explorant les tensions politiques liées à cette exploitation.
Mihaela Michailov : une voix de protestation contre le système
Mihaela Michailov incarne l’avènement d’un théâtre de protestation radical, qui ose questionner les fractures sociales et politiques. Son œuvre explore des thèmes d’actualité sociale en Roumanie et s’intéresse particulièrement à la jeunesse, à ses luttes et à ses contradictions.
Ses pièces telles que Le Complexe Roumanie, qui a remporté le prix UNITER, abordent les conséquences du régime totalitaire de Ceausescu et les fractures du post-communisme. Elle se penche également sur les questions de racisme et de discrimination, notamment dans Cherche mon pays sur Google !, où elle dépeint le quotidien des minorités dans la Roumanie contemporaine.
Un théâtre pour les jeunes : l’appel de Mihaela Michailov
Mihaela Michailov est également une pionnière du théâtre jeune public en Roumanie, un domaine souvent négligé. Elle considère que le théâtre pour la jeunesse doit non seulement divertir, mais aussi réfléchir et transformer les esprits. Ses pièces abordent des sujets difficiles, de la violence scolaire à la critique de la société de consommation, avec un regard acéré sur les enjeux contemporains des jeunes.
Elle écrit des pièces qui donnent voix aux enfants et adolescents, en leur offrant une plateforme pour exprimer leurs préoccupations face à un monde complexe et souvent hostile. Le théâtre qu’elle propose est politique, invitant les jeunes à prendre conscience de leurs responsabilités sociales.