Mai 2011
Écrire, encore
par Camille Devers – Autrice, metteuse en scène et passante têtue
Ce matin, j’ai failli ne pas écrire cet éditorial.
Il faisait trop beau. Le café était bon. Une amie m’a envoyé un message drôle. Et puis, surtout, j’ai pensé que ça ne changerait rien. Un texte de plus, un cri en marge, une tentative parmi tant d’autres. Écrire, pour quoi faire, encore ?
Et puis je me suis souvenue.
Je me suis souvenue que chaque fois que je me suis tue, quelqu’un d’autre a parlé à ma place. Je me suis souvenue que les mots que je n’écris pas deviennent silence dans d’autres bouches. Et que ce silence-là, souvent, n’est pas le mien. Il arrange, il lisse, il range.
Alors, j’ai recommencé.
J’ai pris un carnet, un stylo, et j’ai écrit des phrases sans forme, sans courage, sans beauté. Et puis une est venue. Et une autre. Comme quand on appelle quelqu’un dans le noir et qu’une voix vous répond. C’est fragile, mais c’est là.
Aujourd’hui, on nous demande d’être visibles, rapides, disponibles, aimés. Mais jamais de prendre le temps d’une parole lente, d’une idée pas claire, d’un sentiment contradictoire. Le théâtre est l’un des derniers lieux où on peut dire sans performer.
Je crois que c’est pour ça que j’écris.
Pour rater avec soin. Pour chercher sans trouver. Pour poser des questions sans donner les réponses. Pour que le théâtre reste un endroit où l’on peut être là sans avoir tout compris.
Et parce que parfois, au milieu du flou, une phrase vous reconnaît.
C’est pour elle, pour ce moment-là, que j’ai écrit cet éditorial.
– Camille Devers
Autrice, metteuse en scène et passante têtue.