Chaque mois, nous vous proposons de découvrir la bibliothèque intime d’un auteur dramatique. Ce mois-ci, Stéphanie Marchais nous ouvre les portes de sa mémoire littéraire.
Lauréate du prix d’écriture théâtrale de la ville de Guérande en 2003 pour Dans ma cuisine, je t’attends (Éditions L’avant-scène théâtre), Stéphanie Marchais partage avec nous six livres marquants, qui ont nourri sa pensée, traversé sa vie, et forgé sa manière d’écrire.
Chaque mois, nous vous invitons à plonger dans l’univers d’un auteur à travers sa bibliothèque personnelle. Ce mois-ci, Stéphanie Marchais, lauréate du Prix d’écriture théâtrale de la Ville de Guérande 2003 pour Dans ma cuisine, je t’attends (Éditions L’avant-scène théâtre), partage six ouvrages qui ont marqué sa vie et nourri sa pensée d’auteure dramatique.
Les livres qui m’entourent sont aussi nombreux que les souvenirs qui m’habitent. Comme les métiers que j’ai exercés, les lieux que j’ai traversés, les rencontres que j’ai faites. Ils forment une base mouvante mais essentielle, une fondation sur laquelle je m’appuie pour écrire, penser, vivre. Pour éviter une simple liste sans âme, j’ai choisi six titres. Ce fut difficile, car chaque livre dans ma bibliothèque m’est précieux à sa manière. Ces six-là incarnent des étapes dans mon parcours de lectrice, depuis mes neuf ans jusqu’à aujourd’hui.
Le premier, Sa Majesté des Mouches de William Golding, reste gravé dans ma mémoire d’enfant. L’histoire de ces enfants abandonnés sur une île, qui basculent dans la sauvagerie, m’a profondément marquée. J’y ai découvert la face sombre de l’enfance, cette violence latente qu’on tente d’éteindre mais qui surgit parfois. Ce roman m’a appris que rien n’est jamais acquis, que la barbarie n’est jamais loin, et que je devrais un jour construire ma propre sécurité intérieure.
Plus tard, c’est Le Joueur d’échecs de Stefan Zweig qui m’a bouleversée. L’homme enfermé qui joue aux échecs contre lui-même pour rester sain m’a semblé incarner l’acte même de résistance intellectuelle. La pensée comme rempart, l’imaginaire comme refuge. Ce texte m’a donné foi dans le pouvoir de l’esprit, même face à l’oppression la plus brutale. Zweig oppose la barbarie au génie solitaire, et cela résonne très fort en moi.
Troisième étape : Bérénice de Racine. Une histoire d’amour impossible. Une langue d’une beauté rare, fluide, musicale. Je ressens ce texte plus que je ne le comprends. Les mots m’atteignent physiquement, ils disent les tourments, les désirs, les conflits intimes. C’est un poème tragique à la puissance intacte, une tragédie d’hier qui parle encore d’aujourd’hui. Il y a là une modernité foudroyante.
Avec Œdipe de Sénèque, dans la traduction brillante de Florence Dupont, j’ai retrouvé ce plaisir physique de la langue. Cette version fait vibrer chaque mot, chaque silence. L’incantation, l’ampleur du souffle, l’absence de ponctuation… tout y est pensé pour envahir le lecteur, le désorienter, l’éblouir. Ce mythe des origines, réinterprété, m’a happée dès les premières lignes.
Autre texte majeur pour moi : Stabat Mater Furiosa de Jean-Pierre Siméon. Un cri. Une plainte transformée en force. La voix d’une femme contre la guerre, une parole qui claque, martèle, se déchaîne. J’admire cette langue brute, haletante, sans filtre. Ce n’est pas une prière, c’est une déclaration de guerre contre la guerre. Ce texte me saisit à chaque lecture.
Enfin, Des couteaux dans les poules de David Harrower. Une pièce rare, simple en apparence, mais d’une densité bouleversante. Ce qui m’émeut le plus, c’est l’apprentissage du langage par une femme qui découvre le monde en le nommant. L’écriture de Harrower est rugueuse, fragile, sensible. Ce texte est un chant discret et poignant sur l’émancipation, sur la naissance d’une voix, sur l’identité qui se construit mot après mot.
Je pourrais en citer des dizaines d’autres. Mais il faudra attendre une prochaine fois. Ce que je sais, c’est que la littérature n’est pas morte. Elle vit. Elle circule autrement. Mais elle continue d’habiter ceux qui cherchent, doutent, avancent. Nous sommes, je le crois, traversés par les livres comme nous sommes marqués par les rencontres : parfois sans souvenir précis, mais jamais sans empreinte.